Surpris par une violente diarrhée suite à une mauvaise blague des scouts, le narrateur de ce journal, 12 ans, décide d’écrire sur son corps afin d’apprendre à le connaître et de tenter de mieux le maîtriser. De 1936 à 2010, ce petit bourgeois va donc disséquer ses sensations, bobos, plaisirs avec plus ou moins de constance.
Le corps d’un homme de ses 12 à 87 ans, de l’enfance à la mort, nous est ainsi livré. La sexualité, des branlettes quotidiennes à la perte insidieuse du désir, les maux dont on parle peu (les troubles digestifs, l’extraction de polypes dans le nez, la prostate qui flanche), le plaisir de la marche, la façon dont le corps interagit avec le monde : chaque détail de cette vieille machine qu’est notre corps est passé au crible de l’écriture tendre et juste de Pennac.
C’est osé, cru, mais jamais vulgaire ; c’est émouvant mais jamais mièvre, c’est didactique, mais jamais pédant, charnel et toujours tellement humain. Bref, c’est du Pennac, au sommet de son art. On ouvre les premières pages, et déjà on se sent bien, confortable, en famille. Quel grand auteur qui parvient si rapidement à nous faire entrer dans l’intimité des personnages, qui peut parler du moulage d’une crotte sans être ennuyeux ou grossier, qui peut faire sans tabous du corps un récit passionnant et à de nombreux égards bouleversant.
Un gentil pied de nez à tous ces journaux intimes qui étalent leurs émotions sans pudeur. Un roman qui incarne son humanité avec force.
Un livre à lire, vraiment, ne serait-ce que pour ses si belles descriptions des corps par Pennac.
En voici un extrait :
» je débarbouille, au gant, au savon, chaque fois stupéfait par la densité de ces petits corps, comme si je manipulais de l’énergie à l’état brut, toute l’énergie de deux existences à venir fantastiquement ramassée dans cette chair d’enfant si compacte, sous cette peau si douce. Plus jamais ils ne seront aussi denses, ni les traits de leurs visages aussi nets, ni si blanc le blanc de leurs yeux, ni leurs oreilles si parfaitement dessinées, ni tissé si serré le grain de leur peau. L’homme naît dans l’hyperréalisme pour se distendre peu à peu jusqu’à finir en un pointillisme très approximatif avant de s’éparpiller en poussières d’abstractions ».
Céline
Journal d’un corps, Daniel Pennac, Gallimard, 2012, Fiction Adulte, lien opac, 8-3 PENN 0103 J.